Merci Duc rien ne viendra assombrir l'amitié pas même un procès de l'histoire que nous offrons à la culture et dans lequel nous devons à l'honneur d'affronter des idées et en aucun cas deux hommes.
Je puis reprendre le fil du procès si vous le voulez bien
Monsieur le Président
Depuis quelques jours nous fréquentons ensemble Néron. Pas assez pour être intime, c’est d’ailleurs le problème d’en faire une intime conviction. Mais assez pour voir en lui toutes les nuances qui vont de l’homme seulement au tyran tueur sans vergogne.
Et nos témoins Tacites et Suétone, décriés par la défense qui me fait reproche d’avoir voulu limiter leur portée objective quand leurs mots la sert, n’ont pas toujours témoigné à charge.
Ce sont eux qui rapportent que Néron fit son entrée au sénat disant "qu'il avait, pour bien gouverner, tout ce qu'il faut de conseils et d'exemples; que ni guerres civiles ni querelles domestiques n'avaient aigri sa jeunesse; qu'il n'apportait au rang suprême ni haine, ni offenses reçues, ni désir de vengeance …Ainsi, on ne le verrait point, juge de tous les procès, enfermer dans le secret du palais l'accusation et la défense, afin que le pouvoir de quelques hommes y triomphât sans obstacle. Ni la vénalité ni la brigue ne pénétreraient à sa cour; sa maison et l'État seraient deux choses distinctes; le sénat pouvait reprendre ses antiques fonctions, l'ltalie et les provinces du peuple romain s'adresser au tribunal des consuls: par eux, on aurait accès auprès des pères conscrits; lui, chargé des armées, leur réservait tous ses soins."
L'indépendance du sénat parut dans plusieurs décisions: ainsi l'on défendit aux orateurs de faire acheter leurs services par des présents ou de l'argent; et les questeurs désignés furent dispensés de donner des combats de gladiateurs.
Néron, consul pour la seconde fois, fit construire le vaste au Champ-de-Mars. Quatre cents sesterces par tête furent distribués au peuple à titre de largesse, et quarante millions furent portés au trésor public, pour assurer le crédit de l'empire. Un édit de César défendit aux magistrats et aux procurateurs de donner dans leurs provinces ni spectacles de gladiateurs, ni combats d'animaux, ni jeux d'aucune espèce. Sous le consulat de Néron comme les magistrats juraient sur les actes des princes, Néron défendit à son collègue de jurer sur les siens: modestie à laquelle le sénat prodigua les éloges, afin que ce jeune cœur, animé par la gloire qui s'attachait aux plus petites choses, s'élevât jusqu'aux grandes.
Que n'en sut-il rester à ces biens pour son peuple
Le pouvoir d'Agrippine fut ébranlé peu à peu par l'amour auquel son fils s'abandonna pour une affranchie nommée Acté, et l'ascendant que prirent deux jeunes et beaux favoris qu'il mit dans sa confidence, Othon, issu d'une famille consulaire, et Senecio, fils d'un affranchi du palais. Leur liaison avec le prince, ignorée d'abord, fut vainement combattue par sa mère.
Agrippine, avec toute l'aigreur d'une femme offensée, se plaint qu'on lui donne une affranchie pour rivale, une esclave pour bru. Alors elles se conduit en provocatrice. Pendant les séances de conseil que Néron tient au palais Agrippine , à la faveur d'une porte dérobée, elle y assiste derrière un voile, qui l'empêchait d'être vue sans l'empêcher d'entendre. C’est ainsi qu’un jour que des ambassadeurs arméniens plaidaient devant Néron la cause de leur pays, elle se préparait à monter sur le tribunal de l'empereur et à siéger près de lui, si, bravant la crainte qui tenait les autres immobiles, Sénèque n'eût averti le prince d'aller au-devant de sa mère. Ainsi le respect filial servit de prétexte pour prévenir un déshonneur public.
Elle éclate d’abord de plus en plus souvent en reproches puis elle change de système, et emploie pour armes les caresses: c'est son appartement, c'est le sein maternel, qu'elle offre. Ce changement ne fit pas illusion à Néron.
D'ailleurs les plus intimes de ses amis voyaient le danger, et le conjuraient de se tenir en garde contre les pièges d'une femme toujours implacable. Néron choisit une robe et des pierreries qu'il envoya en présent à sa mère. Il n'avait rien épargné: il offrait les objets les plus beaux, et ces objets, que plus d'une femme avait désirés, il les offrait sans qu'on les demandât. Mais Agrippine s'écria: "que c'était moins l'enrichir d'une parure nouvelle que la priver de toutes les autres, et que son fils lui faisait sa part dans un héritage qu'il tenait d'elle tout entier." On ne manqua pas de répéter ce mot et de l'envenimer.
Oui Monsieur le Président c'est avec une objectivité certaine que nos témoins démontrent peut-être à certains que l'attitude d'Agrippine peut apporter des circonstances atténuantes à son crime , comme si un enfant pouvait trouver dans les excès de sa mère une bonne raison de la tuer. Si c'était vrai où irions nous?
Aucune libéralité n'apaisa en effet le courroux de la mère qui ramassa de l'argent de tous côtés, accueillant d'un air gracieux tribuns et centurions, honorant les noms illustres et les vertus que Rome possèdait encore, comme si elle cherchait un chef et des partisans. Néron, instruit de ses manœuvres, ordonna qu'elle fut privée des soldats germains qu'il y avait ajoutés par surcroît d'honneur. Puis pour éloigner d'elle la foule des courtisans, il sépara leurs deux maisons et transporta sa mère dans l'ancien palais d'Antonia. Lui-même n'y allait jamais .
Cluvius rapporte qu'entraînée par l'ardeur de conserver le pouvoir, Agrippine en vint à ce point, qu'au milieu du jour, quand le vin et la bonne chère allumaient les sens de Néron, elle s'offrit plusieurs fois au jeune homme ivre, voluptueusement parée et prête à l'inceste.
Néron évita donc de se trouver seul avec sa mère. Elle finit, en quelque lieu qu'elle fût, par lui peser tellement, qu'il résolut sa mort. Il n'hésitait plus que sur les moyens.
Anicetus offrit son industrie: cet affranchi, qui commandait la flotte de Misène, avait élevé l'enfance de Néron, et haïssait Agrippine autant qu'il en était haï. Il montre "que l'on peut disposer un vaisseau de telle manière, qu'une partie détachée artificiellement en pleine mer la submerge à l'improviste. Rien de plus fertile en hasards que la mer: quand Agrippine aura péri dans un naufrage, quel homme assez injuste imputera au crime le tort des vents et des flots? Le prince donnera d'ailleurs à sa mémoire un temple, des autels, tous les honneurs où peut éclater la tendresse d'un fils."
Cette invention fut goûtée, et les circonstances la favorisaient. L'empereur célébrait à Baïes les fêtes de Minerve; il y attire sa mère, à force de répéter qu'il faut souffrir l'humeur de ses parents, et apaiser les ressentiments de son cœur: discours calculés pour autoriser des bruits de réconciliation, qui seraient reçus d'Agrippine avec cette crédulité de la joie, si naturelle aux
femmes
Agrippine venait d'Antium; il alla au-devant d'elle le long du rivage, lui donna la main, l'embrassa et la conduisit à Baules; c'est le nom d'une maison de plaisance, située sur une pointe et baignée par la mer, entre le promontoire de Misène et le lac de Baïes. Un vaisseau plus orné que les autres attendait la mère du prince, comme si son fils eût voulu lui offrir encore cette distinction; car elle montait ordinairement une trirème, et se servait des rameurs de la flotte: enfin, un repas où on l'avait invitée donnait le moyen d'envelopper le crime dans les ombres de la nuit. Agrippine, avertie du complot et ne sachant si elle y devait croire, se rendit en litière à Baies. Là, les caresses de son fils dissipèrent ses craintes; il la combla de prévenances, la fit place, à table au-dessus de lui. Des entretiens variés, où Néron affecta tour à tour la familiarité du jeune âge et toute la gravité d'une confidence auguste, prolongèrent le festin. Il la reconduisit à son départ, couvrant de baisers ses yeux et son sein; soit qu'il voulût mettre le comble à sa dissimulation, soit que la vue d'une mère qui allait périr attendrit en ce dernier instant cette âme dénaturée.
Une nuit brillante d'étoiles, et dont la paix s'unissait au calme de la mer, semblait préparée par les dieux pour mettre le crime dans toute son évidence.
Le navire n'avait pas encore fait beaucoup de chemin. Avec Agrippine étaient deux personnes de sa cour, Crepereius Gallus et Acerronia. Le premier se tenait debout près du gouvernail; Acerronia, appuyée sur le pied du lit où reposait sa maîtresse, exaltait, avec l'effusion de la joie, le repentir du fils et le crédit recouvré par la mère. Tout à coup, à un signal donné, le plafond de la chambre s'écroule sous une charge énorme de plomb. Crepereius écrasé reste sans vie. Agrippine et Acerronia sont défendues par les côtés du lit qui s'élevaient au-dessus d'elles, et qui se trouvèrent assez forts pour résister au poids.
Cependant le vaisseau tardait à s'ouvrir, parce que, dans le désordre général, ceux qui n'étaient pas du complot embarrassaient les autres. Il vint à l'esprit des rameurs de peser tous du même côté, et de submerger ainsi le navire. Mais, dans ce dessein formé subitement, le concert ne fut point assez prompt; et une partie, en faisant contrepoids, ménagea aux naufragés une chute plus douce. Acerronia eut l'imprudence de s'écrier "qu'elle était Agrippine, qu'on sauvât la mère du prince;" et elle fut tuée à coups de crocs, de rames, et des autres instruments qui tombaient sous la main. Agrippine, qui gardait le silence, fut moins remarquée, et reçut cependant une blessure à l'épaule. Après avoir nagé quelque temps, elle rencontra des barques qui la conduisirent dans le lac Lucrin, d'où elle se fit porter à sa maison de campagne.
Là, rapprochant toutes les circonstances, et la lettre perfide, et tant d'honneurs prodigués pour une telle fin, et ce naufrage près du port, ce vaisseau qui, sans être battu par les vents ni poussé contre un écueil, s'était rompu par le haut comme un édifice qui s'écroule; songeant en même temps au meurtre d'Acerronia, et jetant les yeux sur sa propre blessure, elle comprit que le seul moyen d'échapper aux embûches était de ne pas les deviner. Elle envoya l'affranchi Agermus annoncer à son fils "que la bonté des dieux et la fortune de l'empereur l'avaient sauvée d'un grand péril; qu'elle le priait, tout effrayé qu'il pouvait être du danger de sa mère, de différer sa visite; qu'elle avait en ce moment besoin de repos." Cependant, avec une sécurité affectée, elle fait panser sa blessure et prend soin de son corps.
Elle ordonne qu'on recherche le testament d'Acerronia, et qu'on mette le scellé sur ses biens: en cela seulement elle ne dissimulait pas.
Néron attendait qu'on lui apprît le succès du complot, lorsqu'il reçut la nouvelle qu'Agrippine s'était sauvée avec une légère blessure, et n'avait couru que ce qu'il fallait de danger pour ne pouvoir en méconnaître l'auteur. Éperdu, hors de lui même, il croit déjà la voir accourir avide de vengeance. "Elle allait armer ses esclaves, soulever les soldats, ou bien se, jeter dans les bras du sénat et du peuple, et leur dénoncer son naufrage, sa blessure, le meurtre de ses amis: quel appui restait-il au prince, si Burrus et Sénèque ne se prononçaient?" Il les avait mandés dès le premier moment: on ignore si auparavant ils étaient instruits. Tous deux gardèrent un long silence, pour ne pas faire des remontrances vaines; ou peut-être croyaient-ils les choses arrivées à cette extrémité, que, si l'on ne prévenait Agrippine, Néron était perdu. Enfin Sénèque, pour seule initiative, regarda Burrus et lui demanda s'il fallait ordonner le meurtre aux gens de guerre. Burrus répondit "que les prétoriens, attachés à toute la maison des Césars, et pleins du souvenir de Germanicus, n'oseraient armer leurs bras contre sa fille. Qu'Anicetus achevât ce qu'il avait promis." Celui-ci se charge avec empressement de consommer le crime. À l'instant Néron s'écrie "que c'est en ce jour qu'il reçoit l'empire, et qu'il tient de son affranchi ce magnifique présent; qu'Anicet parte au plus vite et emmène avec lui des hommes dévoués." De son côté, apprenant que l'envoyé d'Agrippine, Agermus, demandait audience, il prépare aussitôt une scène accusatrice. Pendant qu'Agermus expose son message, il jette une épée entre les jambes de cet homme; ensuite il le fait garrotter comme un assassin pris en flagrant délit, afin de pouvoir feindre que sa mère avait attenté aux jours du prince, et que, honteuse de voir son crime découvert, elle s'en était punie par la mort.
Cependant, au premier bruit du danger d'Agrippine, que l'on attribuait au hasard, chacun se précipite vers le rivage. Ceux-ci montent sur les digues; ceux-là se jettent dans des barques; d'autres s'avancent dans la mer, aussi loin qu'ils peuvent; quelques-uns tendent les mains. Toute la côte retentit de plaintes, de vœux, du bruit confus de mille questions diverses, de mille
réponses incertaines. Une foule immense était accourue avec des flambeaux: enfin l'on sut Agrippine vivante, et déjà on se disposait à la féliciter, quand la vue d'une troupe armée et menaçante dissipa ce concours. Anicetus investit la maison, brise la porte, saisit les esclaves qu'il rencontre, et parvient à l'entrée de l'appartement.
Il y trouva peu de monde; presque tous, à son approche, avaient fui épouvantés. Dans la chambre, il n'y avait qu'une faible lumière, une seule esclave, et Agrippine, de plus en plus inquiète de ne voir venir personne de chez son fils, pas même Agermus. La face des lieux subitement changée, cette solitude, ce tumulte soudain, tout lui présage le dernier des malheurs. Comme la suivante elle-même s'éloignait: "Et toi aussi, tu m'abandonnes," lui dit-elle: puis elle se retourne et voit Anicetus, accompagné du triérarque Herculeius et d'Obaritus, centurion de la flotte. Elle
lui dit "que, s'il était envoyé pour la visiter, il pouvait annoncer qu'elle était remise; que, s'il venait pour un crime, elle en croyait son fils innocent; que le prince n'avait point commandé un parricide." Les assassins environnent son lit, et le triérarque lui décharge le premier un coup de bâton sur la tête. Le centurion tirait son glaive pour lui donner la mort. "Frappe ici," s'écria-t-elle en lui montrant son ventre.
Voilà les faits sur lesquels on s'accorde. Elle fut brûlée la nuit même sans la moindre pompe; et, tant que Néron fut maître de l'empire, aucun tertre, aucune enceinte ne protégea sa cendre. Depuis, des serviteurs fidèles lui élevèrent un petit tombeau sur le chemin de Misène, prés de cette maison du dictateur César, qui, située à l'endroit le plus haut de la côte, domine au
loin tout le golfe.
Voilà Monsieur le Président, Messieurs les assesseurs comment Néron que certains osent dire « Saint » devint un "matricide", simple et joli mot qui veut tout simplement dire qu’il fit assassiner sa mère.
Et on voudrait le réhabiliter pour lui offrir le ciel alors que cet homme ne mérite que l’enfer pour avoir tuer sa mère ?
Je laisse à ce tribunal le soin de crier son horreur pour juger la cruauté tyrannique même si Agrippine était loin aussi d’être une sainte. C’est malgré tout son sein qui nourrit jadis son fils!
Jehol du Pont de l’Aven