Monsieur le Président,
Concernant les témoignages de l'époque, hélas, nous n'avons que Suétone et Tacite.
Cela dit, aucun des deux n'était favorable à Néron.
Le premier servait aveuglément Vespanien qui lui avait commandé la vie des douze Césars, le second ne lui pardonnait pas les exécutions des sénateurs ayant eu lieu à la fin de son règne. Exécutions fortement condamnables, mais pour lesquelles j'ai des moyens de plaider l'indulgence, et que je n'ai pas retenu dans mon accusation de l'Histoire officielle.
Je puis cependant vous donner une liste d'historiens objectifs, bien que récents : George Roux (biographe de Néron et de Mussolini), Pierre Grimal, Eugen Cyzeck, et le trés controversé Hubert Montheillet, romancier historique qui écrivit le trés beau Néropolis, dans lequel, bien que chrétien, il accorde à l'Empereur de large circonstances atténuantes.
La romancière Hortense Dufour, enfin, raconte une vie de Néron qui se fonde sur les plus récents travaux historiques de cette périodes.
Je vous livre ici quelques extraits :
MOI, NERON
Hortense Dufour tente ici de dresser un portrait plus nuancé de Néron, homme illuminé et visionnaire que toute une tradition a eu tendance à caricaturer en la figure d'un fou sanguinaire. En s'appuyant sur les récents travaux des historiens, elle donne la parole à celui qui fut le plus jeune empereur de Rome dans un roman où Néron détient lui-même le pouvoir de dire "je". Elle retrace ainsi le parcours de ce petit-fils de Marc-Antoine né sous "les surprenants rayons du soleil" qui tentera de mettre en place un régime absolu tout en voulant révolutionner les mours austères de Rome, qui aura la volonté de régner seul, de se débarrasser d'Agrippine, mère trop manipulatrice et qui n'hésitera pas à faire tuer nombre de ses proches. Cet élève de Sénèque fasciné par les arts est aussi l'homme qui se prendra de passion pour une ancienne esclave, Actée. L'auteur raconte aussi l'incendie de Rome auquel assiste Néron en 64, un an avant sa mort où, victime d'un nouveau complot, il se suicidera à trente ans en s'écriant "quel artiste le monde va perdre". Hortense Dufour signe ici une biographie originale et donne à Néron un visage nouveau.
Ici, un lien donnant l'avis de l'historien Georges Roux, qui m'a donné l'envie d'en savoir plus...
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/racf_0035-0753_1963_num_2_1_1068_t1_0061_0000_2
NERON par Cyzeck
Cet ouvrage offre une vision toute en nuances de cet empereur à la mauvaise réputation en grande partie injustifiée. L'auteur travaille depuis de très nombreuses années sur Néron et il est d'ailleurs fort intéressant de constater qu'il revient dans ce livre sur certaines thèses qu'il avait soutenues dans son livre « l'époque de Néron », paru en 1972. C'est donc le livre d'un auteur scrupuleux, qui n'hésite pas à remettre en question certaines idées, en confrontant les sources et les ouvrages de ses confrères, ce que doit bien sûr faire tout historien sérieux qui se respecte.
Cependant la lecture n'en est pas toujours facile. En effet, il ne s'agit pas d'une biographie à proprement parler, mais d'une suite d'essais plus ou moins longs sur Néron certes, mais également sur son époque, sur les institutions, la société, les arts, etc. L'auteur donne l'impression de s'adresser à un public de spécialistes ou tout au moins à des lecteurs ayant une bonne connaissance de la Rome antique du 1er siècle après J.-C., ce qui peut-être parfois décourageant ou irritant. De plus l'éditeur ne facilite pas la tâche du néophyte, en n'offrant ni carte ni tableaux généalogiques. A chacun de se débrouiller...
Je conseillerai donc ce livre à des lecteurs ayant des connaissances préalables de la Rome antique et de ses institutions.
NEROPÖLIS (Montheillet). Trés contestable, mais nous reviendrons bien sur, sur l'incendie. Utile cependant, pour la description du visionaire...
Neropolis est le roman le plus historique qui soit, mais c'est aussi l'histoire la plus romancée de cette période romaine...
Néron est devenu Empereur de Rome, il aime Rome, ses fastes, sa puissance, ses possibilités. L'époque est troublée, le Christ est mort et ses disciples parcourent le pays afin de convertir un maximum de gens. Ils sont ennuyeux avec leur monothéisme à l'encontre des religions habituelles... et Néron veut faire de Rome la capitale du monde.
En plus de mille pages, Hubert Monteilhet nous montre la relation qui lie ces deux événements, la vision illuminée que Néron avait pour sa ville, Rome la Grande, et la montée du christianisme. Car s'il est un peu exagéré de prétendre que Néron était fou, il est vrai de le présenter comme la majorité des empereurs romains : complètement mégalomane ! Mais Néron est avant tout un visionnaire, il veut que Rome soit la plus belle et la plus moderne des villes d'Europe. Rome ! Il ne rêve que de cela, il ne pense qu'à transformer les rues, les maisons, les égoûts (he oui, déjà). Il veut faire de cet amalgame inepte de taudis une capitale digne de ce nom.
Comment faire, sinon en appliquant la "t abula rasa " chère aux romains. Bien sûr, cela conduira au grand incendie dont l'histoire nous a laissé des images : Néron, à moitié fou, jouant du violon en contemplant Rome calcinée. Monteilhet fait une mise au point, ce n'était pas un violon mais une lyre, il n'était pas fou, il voulait reconstruire une ville moderne ! Un empereur qui brûle sa propre ville, cela ne se peut ! Les chrétiens seront donc les boucs émissaires... et la boucle est bouclée.
Montelheit a réussi là un chef-d'oeuvre, c'était une dure gageure d'écrire un si long roman sur cette courte période d'histoire sans le rendre ennuyeux. Il a réussi ! Ce roman se dévore d'une page à l'autre, on est sublimé par la force et la richesse des détails, on est plongé dans cette Rome magnifique, on est partagé par la vision de ce Néron si mal connu, on vit cette époque troublée et troublante !
Si l'Histoire vous intéresse, vous aimerez le style et la description de Montelheit qui présente l'Histoire en marge d'elle-même.
Le procès NERON (Pierre Grimal), hélas parfois romancé pour les besoins de la vulgarisation.
Aucun empereur romain n'a été aussi sévèrement condamné par l'Histoire que le fils d'Agrippine, arrivé au pouvoir par la volonté de sa mère à l'âge de dix-sept ans, mort à trente et un ans.
Cette condamnation, que faut-il en penser ? À travers une série de documents hétérogènes, qui reposent tous sur des témoignages authentiques ( lettres, actes publics, fragments de journal intime, etc.) On découvre la suite des événements (remis à leur date par les commentaires d'un complice, le découvreur du " dossier ") et les mobiles vraisemblables, ainsi que les réactions des différents personnages, acteurs ou témoins.
Il devient alors possible de discerner la complexité du réel que le récit historique, dit " objectif ", masque sous une apparente simplicité. Qui est Néron ? Un monstre de perversité ? Un enfant aimant et sensible à la beauté du monde ? Un enfant meurtri, privé d'amour ? Un adolescent soumis à toutes tentations de son imagination ? Un provocateur défiant la morale et les lois, et en position de le faire ? Un criminel pur et simple ? Son talent pour la musique a-t-il joué un rôle dans le destin du monde ? Et ce monde, l'a-t-il changé ? Chacun des textes recueillis dans ce dossier, et dont aucun n'est entièrement imaginé reflète une facette de la réalité.
C'est au lecteur lui-même, et à lui seul, qu'il revient de se faire historien, de découvrir le vraisemblable, au-delà de la légende, d'imaginer des angles de vision possibles et de composer un personnage et un paysage qui ne seront qu'à lui. Peut-être se plaira-t-il à retrouver, à travers ces témoignages, quelques-uns des problèmes de notre temps, par exemple ceux que pose la répartition des richesses ou le rôle assignable à la pensée et à la sensibilité des hommes, à côté des mécanismes et des fatalités dont nous nous plaisons à feindre qu'ils enchaînent la liberté humaine.
Les deux ouvrages de références restant ceux de Roux et de Cyzeck...
Voilà, Monsieur le Président, Messieurs les jurés, les documents étudiés, qui, avec ceux de Tacite et de Suétone, nous permettrons d'y voir beaucoup plus clair.
Dernière édition par Duc Leto le Mer 12 Oct - 23:24, édité 1 fois